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Ce que l'on sait de l'essai clinique clandestin pratiqué sur des centaines de malades et interdit par l'Agence du médicament

Les patients contactés pour ces tests devaient faire un don, arrêter leur traitement habituel et promettre de ne rien divulguer à leur neurologue.

Un "essai clinique sauvage""illégal", véritable "scandale" selon la ministre de la Santé, Agnès Buzyn : l'Agence nationale du médicament (ANSM) a indiqué, jeudi 19 septembre, avoir interdit des tests cliniques clandestins menés sur au moins 350 malades de Parkinson, d'Alzheimer ou des personnes souffrant de troubles du sommeil. "Je suis effondrée, horrifiée. Il y aura des sanctions et des poursuites", a réagi la ministre jeudi, sur France Inter, dénonçant "une faute lourde". Franceinfo revient sur ce qui s'est déroulé dans l'abbaye Sainte-Croix de Poitiers, où s'est tenu cet essai clandestin.

Comment cet essai a-t-il été découvert ?

C'est un neurologue, le professeur Philippe Damier, président du comité scientifique de France Parkinson, qui a lancé l'alerte. Il y a deux ans, il entend parler des travaux du professeur Henri Joyeux, vice-président d'une structure baptisée Fonds Josefa, à l'origine de cet essai. "Il y avait vraiment de la manipulation de patients en détresse", a expliqué Philippe Damier sur France Inter, vendredi. Lorsque l'un de ses patients se voit proposer d'y participer, le neurologue vérifie auprès de l'Agence nationale du médicament. Et là, c'est la douche froide : "Il n'y avait aucun essai thérapeutique de déclaré", rapporte-t-il.

Toujours selon Philippe Damier, les patients sélectionnés pour cet essai clinique non déclaré devaient faire un don au Fonds Josefa. Ils devaient aussi promettre de ne rien dire à leur neurologue et d'arrêter de prendre leur traitement habituel. Le coût était évalué à "1 000 euros par sujet inclus" dans l'essai. En arguant du fait que "certains candidats aux essais cliniques n'auront pas les moyens d'effectuer un tel don (religieux, retraités, démunis, etc.)", le fonds demandait "aux personnes les plus aisées (…) de faire un don supérieur à 1 000 euros, afin de pouvoir financer convenablement cet essai".

En quoi consistait l'essai en question ?

Selon les explications données par Henri Joyeux, l'expérimentation consistait à appliquer aux patients des patchs contenant deux molécules. Appelées "valentonine" et "6-méthoxy-harmalan", elles pourraient selon lui traiter plusieurs maladies neurologiques (Parkinson, Alzheimer, troubles du sommeil...). Selon l'ANSM, ces molécules sont proches de la mélatonine, hormone fréquemment utilisée pour mieux dormir mais déconseillée à certaines populations par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en raison d'effets secondaires.

Sur le site internet du Fonds Josefa, son fondateur, le professeur Jean-Bernard Fourtillan, revendique la découverte de la "valentonine", supposée "protéger notre organisme et assurer la régulation des vies psychique et végétative""La qualité, les effets et la tolérance de ces substances ne sont pas connus" et "un risque pour la santé des participants ne peut être exclu", rétorque, de son côté, l'ANSM.

Interrogé par BFMTV, un participant raconte : "C'est très surprenant, parce qu'il nous dit : 'en trois, quatre mois, vous serez guéri'. Puis il y a un moment, vous décrochez. Vous vous dites : 'bon, c'est très bien, mais enfin bon. Soit ce monsieur sera prix Nobel demain, soit, tout simplement, ça ne marche pas'." Lorsque ce patient reçoit chez lui les fameux patchs de "valentonine", ils sont flanqués d'une inquiétante mention en anglais : "N'est pas destiné aux humains". Pendant quatre jours, il les applique malgré tout. "Dans mon cas, ça n'a pas marché. Il y a d'autres patients qui ont dit évidemment que ça leur avait procuré des effets positifs", relate-t-il. 

C'est dans l'abbaye de Sainte-Croix de Poitiers, à Saint-Benoît (Vienne), que de nombreux patients enrôlés dans cet essai clinique ont été hébergés. "Il semble qu'ils y passaient une nuit et qu'ils subissaient une prise de sang le matin", explique Bernard Celli, directeur de l'inspection à l'ANSM. Selon sœur Martina, sœur hôtelière du monastère, jointe au téléphone par l'AFP, "l'abbaye dispose d'une quinzaine de chambres et cela fait une année à peu près" qu'elles servent pour héberger des patients de cet essai clinique. Neuf religieuses y vivent. 

Comment se défendent les organisateurs de cet essai ?

Interrogé par l'AFP jeudi, Henri Joyeux, médecin controversé notamment pour ses positions anti-vaccins, a d'abord déclaré que tout cela n'avait "rien à voir avec un essai clinique". Samedi, il a expliqué au micro de BFMTV qu'il s'agissait "d'une étude scientifique, laquelle est préalable à un essai clinique qui sera demandé d'ici la fin de l'année 2019". Henri Joyeux a affirmé que l'ANSM était parfaitement au courant : "On a écrit le 22 juin dernier à l'ANSM pour leur dire. Soit ils n'ont pas lu la lettre, soit ils l'ont mal lue, c'est tout." 

Henri Joyeux se défend d'avoir eu un autre rôle que "d'informer les gens sur la découverte" et a assuré, toujours sur BFMTV, que le Fonds Josefa n'avait "pas fait d'appel" pour recruter les patients. "Certains n’étaient pas contents des traitements qu’ils avaient et ont pris la décision par eux-mêmes de les arrêter ou de les réduire. Mais nous n’avons donné aucune consigne, que je sache, sur le fait qu’il fallait stopper leurs traitements", a-t-il dit.

Qui est Henri Joyeux et pourquoi est-il si controversé ? 

Le vice-président du Fonds Josefa, en première ligne pour tenter de calmer la polémique suscitée par cet essai clandestin, est bien connu de la communauté médicale. Cancérologue et spécialiste en chirurgie viscérale, Henri Joyeux s'est d'abord fait connaître du grand public par des conseils de diététique et d'hygiène de vie, détaillés dans de nombreux livres.

Depuis, il a fait d'une supposée "dictature vaccinale" son principal combat. Le professeur montpelliérain est, en effet, au centre d'une autre controverse, qui porte sur des pétitions anti-vaccins qu'il avait publiées sur internet en septembre 2014 et mai 2015. Cela lui a valu de comparaître devant les instances disciplinaires de l'ordre des médecins. Au moment de la publication de ses pétitions sur les vaccins, la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine, avait fustigé ce "médecin qui s'est déclaré contre la pilule, contre l'avortement, qui a pris des positions rétrogrades sur toute une série de sujets". Des affirmations que l'intéressé avait réfutées.

Dans le livre La Pilule contraceptive (2013), il exposait pourtant les dangers supposés de ce mode de contraception et accusait les autorités médicales d'entretenir le silence à ce sujet, sur fond de soupçons envers les laboratoires pharmaceutiques.

En première instance, le 8 juillet 2016, il avait été radié par la chambre disciplinaire de Languedoc-Roussillon. Mais en appel, le 26 juin 2018, il avait été blanchi par la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, une instance indépendante du Conseil national de l'ordre. L'ordre des médecins s'est pourvu en cassation.

Qu'est-ce que le Fonds Josefa ? 

Le Fonds Josefa se présente, sur son site internet, comme "un fonds de dotation à but non lucratif", auquel "ont été cédés (…) les droits de propriété intellectuelle des brevets de médicaments" basés sur les molécules testées lors de l'essai illégal. Le fonds doit son nom à une religieuse catholique espagnole, sœur Josefa Menéndez, morte en 1923 à Poitiers. Jean-Bernard Fourtillan, "qui a découvert l'hormone du sommeil, le valentonine", assure Henri Joyeux, en est le président. Le professeur Joyeux est, pour sa part, vice-président de la structure.

"Les professeurs Jean-Bernard Fourtillan et Henri Joyeux ont décidé d’unir leurs efforts, pour faire connaître au grand public, en même temps qu’aux professionnels de la santé et aux chercheurs, cette découverte essentielle, et les médicaments (patchs transdermiques), en cours de préparation, qui en découlent", indique le site internet.

Europe 1 a publié vendredi sur son site des e-mails envoyés à partir de décembre 2017 par le Fonds Josefa à des patients qu'il souhaitait recruter pour l'expérimentation. L'organisation y expliquait à ces patients qu'ils étaient sollicités pour participer à un "essai clinique préliminaire" du fameux patch.

Des poursuites judiciaires sont-elles envisagées ?

A en croire la ministre de la Santé, oui. "C'est absolument inadmissible, c'est un vrai scandale, je pense qu'il y aura des poursuites pénales, le procureur est saisi", a affirmé à la presse Agnès Buzyn, samedi, en marge de la présentation d'un plan gouvernemental sur la nutrition à l'agence sanitaire Santé publique France. "La priorité, c'est de connaître l'état de santé de ceux qui y ont participé, de vérifier qu'ils ont repris leur traitement, anti-parkinsonien notamment", a poursuivi la ministre avant d'annoncer qu'"une enquête est en cours" pour "analyser les produits administrés".

"Ces personnes ont été victimes de fausses informations", a ajouté Agnès Buzyn, en soulignant que "quand on est malade, la vulnérabilité fait qu'on est beaucoup plus sensible" aux discours promettant un "traitement miracle". D'autant que l'arrêt des traitements exigé par ces tests clandestins peut avoir de graves conséquences : "L'arrêt brutal non contrôlé d'un traitement anti-parkinsonien peut entraîner des hyperthermies très graves", signale en effet le neurologue Philippe Damier, qui a lancé l'alerte sur ces tests clandestins.

Sœur Martina, de l'abbaye Sainte-Croix, assure qu'il n'y a pas encore eu de perquisition dans le monastère.

Sources : 23/09/2019

https://fr.yahoo.com/news/lon-sait-lessai-clinique-clandestin-135108238.html

https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/ce-que-l-on-sait-de-l-essai-clinique-clandestin-pratique-sur-des-centaines-de-malades-et-interdit-par-l-agence-du-medicament_3626035.html#xtor=AL-79-[article]-[connexe]

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